Le 10 avril 2022, j’ai appris avec tristesse la disparition de deux personnes âgées que je respectais énormément.
Après un AVC sévère le 7 mai 2017 et un quasi-état de mort cérébral, Tante Droite et ma Tatie Gauche nous ont quittés.
Lors de nos réunions de famille, mes parents invitaient systématiquement Tatie Gauche, même âgée elle avait un charme fou. Bien sûr, elle s’énervait tout le temps et refusait ce que les autres considéraient comme immuable, mais c’était toujours avec humour, culture et intelligence.
Franchement, je l’aimais bien, parce qu‘elle venait toujours avec un petit cadeau, un petit billet qu’elle récupérait d’un portemonnaie repu et qui atterrissait dans ma poche avec un sourire complice. Ou alors un petit pins en forme de main jaune qui symbolisait notre égalité, notre fraternité et qui proclamait que nous étions ses potes.
Mes parents m’ont toujours appris à respecter et aimer le côté rêveur de Tatie Gauche et du coup même en grandissant mon affection n’a jamais diminué.
Par contre, Tante Droite était rarement bienvenue à la maison, de quoi aurions-nous pu parler avec elle, comment aurait-elle pu nous comprendre alors que nous sommes une famille d’artisans, d’employés, de petits commerçants.
Elle est notre Tante… mais pas vraiment de la famille, une ancienne branche qui aurait fait fortune il y a bien longtemps et qui vit de ses rentes et considère que tout lui est dû.
Elle nous disait qu’il n’est pas nécessaire d’être pauvre pour vouloir les aider et que parfois il faut les aider contre eux-mêmes.
Elle venait rarement les mains pleines, ou alors on sentait bien que c’était par pure convenance. Et elle nous répétait qu’il valait mieux pour nous d’apprendre à pêcher plutôt que de réclamer des poissons.
Ok, c’est bien beau tout cela, mais moi j’aime le poisson et je n’ai pas le temps de pêcher, j’ai du travail… une famille à nourrir.
Donc oui, je le concède, je respectais Tante Droite, parce qu’elle était dure mais intègre, parce qu’elle était un peu pingre mais qu’elle refusait de nous voir trop miséreux.
Je n’avais ni affection ni admiration pour elle, juste du respect, celui que l’on doit à l’expérience d’une vieille dame.
Et donc ce dimanche d’avril, la télévision m’apprend le décès de mes deux tantes. Quel choc, ce n’est pas facile de perdre ses deux repères en une soirée. Je réalise que, au moins l’une des deux, était toujours avec nous, à table, devant la télé, dans nos lectures, en vacances… et même au travail.
Mes tantes sont mortes !
Mais sur les plateaux télé, cela ne semble pas un gros problème… A peine décédées, pas encore enterrées qu’ils nous annoncent fièrement la naissance de deux cousins.
Bien souvent, on l’a tous remarqué, autour de la date d’un enterrement, on apprend une naissance. Peut-être sommes-nous plus attentifs à ces nouvelles, peut-être imaginons nous des liens qui n’existent pas … ou peut-être, que les héritiers apparaissent toujours au bon moment.
Cousin Progrès et Cousin Nation entrent donc en scène.
Qu’il en soit ainsi, nous les inviterons tous deux au repas de famille dorénavant.
Mais il nous faut concevoir le plan de table.
Jusqu’à présent, nous étions plutôt basés sur une organisation assez classe.
Les membres modestes de la famille préféraient rester très proches en bout de table. Ils pouvaient parler de leurs fins de mois difficiles pour payer leurs loyers et comment ils sont étranglés par leurs patrons.
Et cela arrangeait bien les membres aisés qui pouvaient parler de leurs fins de mois difficiles pour payer leurs crédits et comment ils sont étranglés par leurs impôts.
Le nouveau plan de table sera construit sur l’amour et la confiance.
Du côté de cousin Progrès, ceux qui aiment la France au centre de l’Europe et l’Europe au centre du monde. Proches d’eux seront assis ceux qui pensent que l’avenir est un territoire à conquérir, une voie vers le progrès.
Autour de Cousin Nation, il y a ceux qui aiment la France, les Français, la langue française, la culture française. Proches d’eux nous installerons ceux qui s’instruisent et s’inspirent du passé, parce que les réussites du passé sont la preuve de nos possibles réussites futures.
Dès le premier repas familial, l’ambiance monte autour de la table.
Du côté de cousin Nation la discussion tourne à l’enquête policière. Ils ont décidé de lever le voile sur les coupables de tous leurs problèmes.
Etrangement, Kevin l’ouvrier est d’accord avec Dimitri le chef d’entreprise, appeler son fils Mohamed est inacceptable, ce n’est pas français !
Vanessa experte en géostratégie et onglerie nous explique que la meilleure protection que l’OTAN puisse nous apporter passe par sa disparition. Effectivement, si nous sommes dans l’OTAN nous impressionnons, nous faisons peur et donc nous provoquons une attaque défensive.
La sécurité militaire passe par la sortie de l’OTAN !
A l’autre bout de la table, l’inspiration est présidentielle. On écoute d’une oreille discrète, on n’a aucune tenue, on s'avachit, on s’écroule sur la table ou sa chaise. Un neveu tente même un célèbre tour de magie de Gérard Majax.
Mais de ce côté de la table, on sent un vent d’optimisme, à force de mettre un pognon de dingue dans le système, on va y arriver.
Sur une initiative française, nous avons réussi à créer de la dette européenne. La dette est pratiquement une invention française… Cela prouve que nous, la France, nous arrivons à faire évoluer l’Europe dans le bon sens.
Si la France est forte, l’Europe est forte et si l’Europe est forte alors la France est forte…et vice versa.
Il faut bien reconnaître que ces nouvelles réunions familiales sont un peu dures à suivre. Les adversaires d’hier sont les alliés d’aujourd’hui, les ennemis irréconciliables de la veille font des projets ensemble.
J’ai l’impression que l’on ne s’engueule pas plus qu’avant mais que l’on ne se comprend plus du tout.
J’ai de la peine pour ma Tatie Gauche et ma Tante Droite, un peu de nostalgie aussi. Mais elles ne me manquent pas.
Pourtant, Cousin Progrès et Cousin Nation me font un peu peur.
Quand Tante Droite restait et que Tatie Gauche disparaissait quelques années, je savais que ce n’était pas grave, qu’elle pourrait revenir. Et que même si je ne suis pas d’accord avec Tante Droite, elle était respectable.
Maintenant, je me dis que Cousin Progrès est une superbe opportunité pour nous, mais que se passera-t-il si Cousin Nation reste seul avec nous ?
Me laissera-t-il exprimer mes désaccords ? Passerons-nous de « sous les pavés, la plage » à « après le voile, la kippa » ? Cousin Progrès serait-il autorisé à revenir un jour ?
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